L’AUTODÉFENSE PHYSIQUE, COMMENT ÇA MARCHE ?
L’autodéfense physique ne peut s’apprendre que par l’expérience pratique. Il est impossible d’assimiler des techniques corporelles ou des enchaînements complexes en lisant un livre, même celui-ci !
Mais vous pouvez utiliser ce livre comme une source d’inspiration pour accompagner votre apprentissage dans un cours.
Dans ce chapitre, je vais néanmoins vous donner les bases de l’autodéfense physique. Ces quelques principes correspondent aux quelques dénominateurs communs des différentes techniques d’autodéfense féministe qui existent dans ce monde. Comment choisir et où trouver un cours d’autodéfense près de chez vous, cela vous sera expliqué au chapitre 8 (voir p. 233).
PRENDRE NOTRE ESPACE
L’espace est un élément important dans l’autodéfense physique. Il nous indique à partir de quand nous sommes en danger physique, il détermine quelles ripostes seront possibles et il a un impact sur notre équilibre et notre force.
Voici un petit exercice. Tout d’abord, je voudrais qu’avec vos bras, vous dessiniez un cercle autour de vous. Ce cercle est votre espace vital. Un
agresseur ne peut vous atteindre que s’il pénètre à l’intérieur de ce cercle, hormis s’il a une arme qui fonctionne à distance (un bâton, une arme à feu), ce qui, fort heureusement, est rare. Tant que vous vous positionnez de manière à ce que ce cercle reste libre d’agresseurs, vous êtes en relative sécurité.
Par contre, quand quelqu’un entre dans cet espace contre votre volonté explicite, vous êtes en danger immédiat.
Évidemment, je ne parle pas de l’heure de pointe dans le métro, où tout le monde est serré comme des sardines. Je parle d’une situation où rien ne justifie une si grande proximité et où vous avez déjà fait tout votre possible pour faire respecter cet espace par l’autre, en posant des limites verbales, en cherchant de l’aide, en tentant de le distraire et de le déstabiliser… et que rien n’y a fait. On a empiété sciemment sur votre espace de sécurité. Il s’agit déjà bel et bien d’une agression, même si l’autre ne vous a pas encore touchée.
Pour ne pas vous retrouver victime d’une attaque surprise, gardez toujours à l’œil votre espace vital, même si vous vous disputez avec quelqu’un, même si vous êtes concentrée sur une de nos nombreuses stratégies. Quand l’agresseur est entré dans votre espace, vous pouvez lui dire de reculer (au lieu que ce soit à vous, automatiquement, de reculer) et le repousser éventuellement avec une main sur sa poitrine. Fermement, mais lentement, pour ne pas non plus donner l’occasion d’une agression physique, car ce geste franchit la dernière limite du contact physique.
S’il est nécessaire de s’en aller face à une agression, par exemple parce que nous n’avons plus le temps, il est important de bien marquer le coup, pour éviter de donner l’impression que nous avons peur. Si nous décidons de prendre la fuite, peu importe : ce qui compte avant tout, c’est d’être les plus rapides possible, de sorte que l’agresseur n’ait même pas le temps de se poser la question.
Connaître et réclamer notre espace est une chose, le remplir, l’occuper avec notre corps en est une autre. J’ai déjà parlé des normes féminines de la posture physique qui nous rend plus petites : nous faisons peu de grands gestes, baissons souvent le regard et la tête, gardons les coudes près du corps et les jambes fermées. En nous recroquevillant ainsi, nous utilisons peu d’espace. Comme nous ne remplissons pas l’espace qui nous revient, il n’est pas très étonnant que d’autres le considèrent comme disponible et y pénètrent. Mais il existe des solutions simples pour remédier à ce problème : nous étaler dans notre espace, ouvrir les jambes, prendre de la place avec notre regard, nos gestes, notre voix, notre posture. Ainsi, non seulement nous remplissons notre espace mais nous n’y laissons pas de place pour autrui. De plus, nous montrons que nous sommes sûres de nous, que nous n’avons pas peur, que nous ne sommes pas des victimes faciles. Apprenez à prendre de l’espace sans mauvaise conscience, par exemple en marchant au milieu du trottoir ou du couloir. Quand vous tournez au coin d’une rue, restez le plus loin possible du coin pour avoir un plus grand champ de vision, et marchez droit sans esquiver les autres dans la rue. Attention, si vous tombez nez à nez avec une femme qui n’esquive pas non plus, peut-être qu’elle aussi a lu le livre ! Prenez de la place, pas avec votre sac ou vos accessoires, mais avec votre corps.
Cela vous donnera aussi une expression de sécurité et d’aisance.
Dans un conflit, il ne faut jamais laisser à l’adversaire le choix du terrain de la confrontation. Cette règle reste vraie en situation d’agression.
Tout d’abord, il est prudent de choisir un endroit ouvert, visible par des tiers qui pourront au besoin intervenir. Face à une agression, il est toujours préférable de se défendre au milieu de la rue que dans une entrée de garage ou dans une cage d’escalier ou un jardin plutôt qu’à l’intérieur d’un appartement.
Si possible, mettez-vous plutôt là où il n’y a pas d’obstacles et où le sol est plat afin d’éviter de trébucher ou de tomber. Évitez de vous mettre près d’une grande vitre ou dans un espace confiné. Avec un peu de chance, vous pouvez même vous positionner de manière à ce que vous ayez de la place, mais que l’agresseur ait à surmonter des obstacles pour arriver jusqu’à vous.
Même quand il y a plusieurs agresseurs, votre position est importante : ne vous mettez pas au milieu, mais à l’extérieur de leur groupe et tentez de garder les uns entre vous et les autres. Ainsi vous diminuez le nombre d’agresseurs qui peuvent vous atteindre dans l’immédiat. Un mur dans le dos peut être un avantage car c’est un soutien pour votre équilibre et il empêche d’autres agresseurs d’attaquer par-derrière, tout en nous laissant une marge de manœuvre sur les côtés. S’il y a une pente ou un escalier, mettez-vous plutôt vers le haut. Ainsi, votre tête sera en sécurité tandis que les membres les plus forts de votre corps, les jambes, seront à une bonne hauteur pour frapper. Rapprochez-vous d’éventuelles sorties de secours ou d’objets pouvant être utiles pour votre défense.
Regardez avec votre champ de vision le plus large. Ne tournez pas le dos à quelqu’un tant que vous ne vous sentez pas parfaitement en sécurité. Cela veut dire par exemple que, dans des cabines téléphoniques, nous ne regardons pas le téléphone, mais l’extérieur de la cabine, et idem face à un distributeur d’argent, de boisson, etc.
L’espace a bien sûr aussi un impact sur ce que l’agresseur peut vous faire – et ce que vous pouvez lui faire. Tout d’abord, évitez des endroits où sont visibles et accessibles des armes potentielles. Par exemple, si vous avez peur que votre partenaire vous agresse, sortez de la cuisine, où les couteaux sont exposés à la vue de tous.
Nous avons déjà parlé de la distance de sécurité de la longueur d’un bras. Si l’agresseur est beaucoup plus grand que vous, ses bras sont plus longs que les vôtres et peuvent vous atteindre plus vite que vous ne pouvez le toucher. De même, les jambes sont plus longues que les bras, et un agresseur peut donner un coup de pied à un endroit qu’il n’atteint pas encore avec son poing. Et vice versa : vos coups de pied seront plus dangereux pour l’agresseur que vos coups de poing. Si l’agresseur entre dans notre espace, nous pouvons toutefois aussi choisir de nous coller contre lui. Cela vous semble peut-être bizarre, mais nous sommes plus en sécurité lorsque nous sommes très proches qu’à une distance moyenne. Car il est difficile de frapper avec beaucoup de force quand on est très près de la cible et qu’il est impossible de prendre aucun élan.
Un dernier point important concernant l’espace est la ligne de mire. La grande majorité des agressions sont effectuées dans une ligne droite devant l’agresseur. Un coup de poing par exemple suit cette ligne de mire. En esquivant sur le côté, nous pouvons éviter cette ligne et nous mettre un peu plus en sécurité. Il est même possible d’éviter la ligne de mire de l’agresseur en esquivant sur le côté, tout en le gardant dans notre ligne de mire en nous tournant vers lui. Ainsi, nous aurons l’avantage de pouvoir tout de suite frapper l’agresseur tandis qu’il doit d’abord se tourner vers nous avant de pouvoir nous atteindre.
GARDER L’ÉQUILIBRE:
On ne nous a pas appris à garder l’équilibre. Pire, les manières de marcher et de bouger « féminines » sont la plupart du temps des mouvements en déséquilibre constant. Par exemple des pas toujours posés sur une ligne droite, voire croisés, pour éviter l’écartement des jambes, des positions assises sur une seule fesse avec les jambes jointes ou croisées aux chevilles, des positions débout avec le poids sur une seule jambe ou avec les jambes croisées… Des postures et des démarches qui nous déséquilibrent et qui grèvent notre défense physique. Mais, heureusement, il n’est jamais trop tard pour développer notre équilibre, et vous pouvez le faire sans forcément vous mettre à la planche à voile ou au skateboard.
TROUVEZ VOTRE POSITION D’ÉQUILIBRE:
Prenez une position debout, avec les jambes écartées, de la largeur de vos hanches. En expirant, vous vous penchez vers l’avant sans plier les hanches et sans que vos talons ne quittent le sol, jusqu’au bout, sans perdre l’équilibre, puis revenez sur place en inspirant, à votre rythme. Après avoir plusieurs fois été jusqu’au bout vers l’avant, vous vous penchez au maximum vers l’arrière sans perdre l’équilibre tandis que vous inspirez. Recommencez plusieurs fois. Vous vous balancez ainsi entre les deux positions extrêmes de votre équilibre.
Concentrez-vous à présent sur le trajet entre les deux extrêmes : quelque part se trouve un point où il serait agréable et facile de s’arrêter. Au début, vous prenez juste conscience de ce point en passant, puis, quand vous êtes sûre de l’avoir localisé, vous réduisez votre basculement petit à petit jusqu’à finalement vous arrêter en ce point précis, votre point d’équilibre.
Vous pouvez répéter cet exercice en basculant de gauche à droite ou bien assise.
Une fois que vous avez trouvé votre point d’équilibre pour la station debout, vous pouvez encore renforcer votre stabilité en fléchissant légèrement les genoux et en basculant le bassin vers l’avant comme si vous étiez assise dans votre pantalon.
Essayez ensuite de vous déplacer et de retrouver votre point d’équilibre spontanément.
La position d’équilibre présente plusieurs avantages importants. Tout d’abord, nous sommes prêtes à réagir, que ce soit pour nous enfuir, pour parlementer ou pour nous défendre physiquement. Ensuite, c’est une position de détente qui facilite la gestion de nos émotions. Nous nous trouvons dans notre axe vertical, nos hanches et nos épaules dans le même plan. En même temps, cette position signale à l’agresseur que nous n’avons pas peur, mais que nous ne sommes pas non plus agressives. Ainsi, nous avons la surprise de notre côté parce que nous ne faisons pas de menaces ni ne prenons une attitude de guerrière kung-fu (c’est joli dans les films, mais peu pratique en réalité).
Notre équilibre n’est pas uniquement pratique pour des situations d’agression. C’est une position que vous pouvez pratiquer dans les transports en commun ou quand vous devez attendre longtemps dans une queue. Vous pouvez aussi apprendre à marcher en équilibre, c’est-à-dire les jambes un peu écartées, les genoux toujours un peu fléchis et le centre de gravité toujours entre les jambes, sur une même hauteur. Dans cette position, nous ne risquons pas de nous retrouver tout de suite à terre en cas de bousculade, nous pourrons résister, et, le cas échéant, nous aurons davantage d’options pour réagir.
L’équilibre nous permet aussi d’utiliser notre force avec une meilleure efficacité. Des coups donnés en position d’équilibre, avec ce que j’appelle la « force du centre », sont beaucoup plus forts que si nous n’utilisons que nos muscles. Si nous utilisons notre centre de gravité, en plus de nos muscles, c’est tout le poids de notre corps qui est au travail. Un grand poids peut donc constituer un grand avantage ! Chez nous, ce centre se trouve deux à trois doigts au-dessous du nombril, près de la colonne vertébrale. Quand nous portons un sac à dos lourd ou quand nous sommes enceintes, la position de ce centre de gravité change : il est plus haut ou plus en avant, ce qui peut nous déséquilibrer plus facilement.
Le bassin, en tant que siège de la force du centre, joue un rôle actif dans tous les coups et les mouvements, c’est-à-dire qu’il se déplace avec le mouvement : si on frappe ou pousse vers l’avant, les hanches avancent aussi ; si on frappe vers le bas, on plie les genoux. On peut également dire que l’on déplace son centre de gravité. Ceci s’accompagne d’un cri et donne l’impression de traverser l’objectif par le mouvement, au lieu de nous arrêter dessus.
LIBÉRER SA VOIX ET CRIER:
Notre force physique est non seulement liée à nos muscles et à la quantité d’adrénaline dans notre sang, mais aussi à la respiration et à la voix.
Crier n’est pas uniquement utile pour alerter des témoins. Le cri est un de nos principaux outils de défense physique. Pour commencer, cela surprend l’agresseur qui ne s’était sans doute pas imaginé que vous alliez vous mettre à gueuler à pleins poumons d’une manière pas franchement féminine. De plus, crier vous signale comme une « victime difficile ». Crier est aussi une stratégie pour mobiliser la force physique. Alors que la peur coupe la respiration, crier permet d’expirer, de transformer la peur en colère et de convoquer toute notre énergie : le taux d’oxygène dans le sang augmente, les muscles non nécessaires à la défense se détendent. En outre, le cri aide à concentrer sa détermination sur une cible. Ce n’est pas pour rien que les tennis/wo/men et autres sportives font des bruits incongrus au moment de frapper sur la balle, de lancer le javelot ou de soulever des poids. De même, crier augmente la capacité d’encaisser des coups lors d’une agression, car les muscles du ventre sont tendus et protègent ainsi des points sensibles. Enfin, crier est aussi une manière de nous encourager nous-mêmes et de nous sentir plus fortes, surtout si nous nous sommes entraînées aux techniques de défense physique en criant. Crions, donc.